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Sentiments authentiques
28 janvier 2014

Itinéraire d'un oiseau blessé.

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Une lettre à ma mère.

Je ne viens pas ici pour te juger.  Je m'approche prés de toi pour te quitter plus librement.
Te laisser seule, ne plus me retourner. Ailleurs, je dois voyager.

Tu es une mère accueillante, attentionnée et serviable mais pas à n'importe quel prix. Sans espoir, jamais tu ne réussiras à fuir le piège qui vient étouffer toutes les personnes remplies d'amour que tu rencontres sur ton chemin.
J'ai si souvent essayé de te comprendre. De longues heures passées à être à ton écoute. Mais en vain, je n'y arriverais pas si tu ne désires pas le changement.
Par moments, tu m'exprimes qu'il t'arrive d'entendre la petite voix de ton cœur. Une petite voix qui te dit que quelque chose ne va pas à l'intérieur de ton âme, mais ton côté cérébral prend plus d'importance. Fréquemment il m'est arrivé d'avoir le sentiment d'être ta mère, dans tes révélations personnelles ou obscène. Cela doit prendre fin.
Je laisse ton mental te guider vers le glissement, dans une forteresse inéchangeable, face à ton amour maternel. Même si nous nous perdons, tu désires rester à son écoute. Ton amour pour moi devient accessoire, qu'il en soit ainsi.

Nous sommes liées pour la vie, disais-tu avant de m'abandonner une nouvelle fois, ton panier sous le bras en allant rejoindre ton compagnon.
Même en lâchant prise quelques semaines, je t'appartenais.
À chacune de tes interpellations, ton psychique te murmure qu'il n'y aura aucune conséquence sur notre relation qui s'effrite.
Ton indifférence sporadique m'accable. Je ne souhaite plus vivre dans un temps incertain.
Un temps qui a fait de moi la personne que je suis devenue à cette heure de la nuit.
Un temps sans une amélioration malgré tes provisoires apparences chaleureuses.
Mère, la petite fille qui est en moi ne veut plus être asphyxiée pour te plaire. À l'aube de mes trente-cinq ans, je dois réussir la quête de ma propre identité.

Bien malgré moi, avec violence, je dois faire face à mon retour de l'hôpital psychiatrique là où tu m'as enfermé sans remords pour un état dépressif qui t'a laissé de glace.
Tu n'as plus besoin de garder mes trois enfants, je suis présente pour eux maintenant.
Je ne sais pas quand tu reviendras.  Tu m'en veux terriblement d'être sortie plus tôt que prévu. Après ton départ, j'ai jeté tous les médicaments de l'armoire à pharmacie et j'ai vidé toutes les bouteilles d'alcool dans l'évier.

Mes enfants retrouvés avec joie, heureux et apaisés, dorment dans leurs chambres respectives.
Je suis seule, assise à terre, au milieu du salon. J'ai toujours eu le sentiment d'être seule dans un isolement profond.
J'ai le souvenir de ton visage en colère devant la porte d'entrée qui revient dans ma mémoire.
Contre ma volonté, tu as accepté mon enfermement dans ce drôle d'endroit pour une durée de deux mois. En puisant dans la volonté et la force de l'amour, je suis sortie de ces longs corridors à la troisième semaine.

Étrangement, je t'en veux plus ce soir de m'avoir abandonné une nouvelle fois dans mon retour avec la vie, que de m'avoir enfermé dans cette prison où mon cœur battait si fort jour et nuit, que ciel et terre ont dû entendre mes maux et mes manques.
En passant dans la case hôpital psychiatrique, mon mécanisme d'autodéfense s'est rondement développé.

Entre ces murs, des barreaux à toutes les fenêtres et des fenêtres qui ne s'ouvrent pas. Des portes toujours fermées à double tour par trois points de sécurité. Des cris inexpliqués de certains patients jour et nuit, une obligation journalière d'avaler les cachets...
Dans l'intérieur de mes peurs d'un monde mal fait, j'ai accepté le fait que le double de moi-même porte, d'une certaine façon, l'entière responsabilité d'un déclenchement primitif, par une envie puissante que j'ai eue, à ne plus vouloir m'alimenter.

La petite fille intérieure, ta fille, se relève petit à petit en s'appuyant sur une espérance avec force.
La petite fille intérieure et moi-même, toutes les deux, nous nous relèverons pour la sixième fois.
Je veux encore y croire.
Je n'ai pas eu le droit à une enfance heureuse, je veux me persuader d'avoir le droit d'exister. Je veux avoir droit au bonheur!

Plus personne ne doit réussir à dénigrer mes besoins, mon intégrité et mon humanité, tout simplement.
Je dois m'efforcer de penser positivement.

D'antan, tu me reprochais de ne pas pouvoir te dire "Je t'aime maman".  Par ta manière de t'exprimer, tes reproches et tes actes semblaient justifiés. Paradoxalement, j'ai toujours été une enfant sage, réservée. Tout le monde le disait. Très tôt, ma volonté a été brisée en me rendant docile et obéissante, au moindre caprice de ma famille.  J'ai gardé des souvenirs de vos mots en mémoire. Je suis toujours ainsi, soumise et silencieuse.

J'ai tant été rabaissé d'une fusion de propos blessant, dit ironiquement ou non. J'ai tant été jugée de maladroite et d'incapable en tout domaines. Sans compter tes comportements sadiques et dévalorisant sur ma personne dont je te parlerais plus loin dans ma lettre.

Il y a eu aussi vos éternels rejets affectifs sur mon identité, avec une grande certitude que mon vrai père était un de tes amants de passage. Yves, tu te souviens?
Yves avait la même corpulence que moi, la même couleur de cheveux.
Je n'ai pas eu la chance de le connaître malheureusement. Sans scrupules, vous m'avez informé de son long voyage huit ans après son décès...
Selon mon âge, vos exigences à mon égard ont souvent valsé entre l'excessivité ou le déséquilibre.
Je me demande tout à coup qui était le chef de la bande. Mon père adoptif et sa mère se ralliaient-ils à toi, l'impeccable maîtresse de maison ou, prenaient-ils un malin plaisir à ce que je sois leur souffre-douleur selon leur humeur?
Quand tu as quitté la maison familiale avec ton amant de passage, tu ne peux t'imaginer comme j'ai tant souffert. Dans le fond de mon lit, dans le fond du jardin, dans la niche pour le chien, tous les lieux étaient bons pour me cacher et pleurer.  
Sur le chemin de ma mémoire, un souvenir revient.  En rentrant de l’école, j’ai trouvé l’échelle bleue appuyée sur le mur de la maison.

« - Que font l’échelle et la corde sur le toit à cet endroit, Mamie ? »

Perrine, Grand-mère, « elle », étaient des titres qu'il m’était interdit de prononcer, si je ne voulais pas être mal traitée par cette dernière.
Elle était assise sur un siège près de la porte d’entrée, elle se tenait là sans bouger, fixant un point au hasard. Elle semblait si malheureuse, plongée dans ses pensées. Son unique phrase sans verser une larme, a fait écho à l’intérieur de moi comme si la foudre m’était tombée sur la tête sans recevoir aucune goutte de pluie.

« - J’ai essayé de me pendre Jeanne, mais je n’ai pas réussi. Je n’en peux plus. Je veux rentrer chez moi, retrouver ma vie, mes amis. Je ne désire plus m’occuper de ton frère et toi. »

Ainsi, Larry ayant eu pitié de sa mère, mon adolescence a pris fin rapidement.
Perrine est rentrée chez elle. Je ne connaissais presque rien de la vie mais, je devais accomplir mon devoir. Comment entretenir une maison et cuisiner de bons repas pour les deux maîtres de la maison et comment continuer d’aller à l’école, en même temps.
Il n’était plus l’heure de se poser des questions. Je devais agir au prix d’en oublier ma vie.
Mes journées devenaient de plus en plus éreintantes. Je suis devenue l’esclave dans mon propre foyer.
Dans un état de déprime, j'ai pris la pénible décision de quitter l’école très tôt pour garder la force d’assumer. Personne ne s'est opposé. Je me souviens avoir été seule, pour dire au revoir à mon professeur principal, qui était très déçu de ce choix obligatoire.

« - Tu aurais réussi ma gentille Jeanne. Encore quelques mois d'efforts et tu aurais eu ton certificat d’aptitude professionnelle. Dis-moi quelque chose Jeanne, quitté l'école à seize ans ne t'apportera aucun avenir. Explique-moi ta situation, je pourrais t’aider… »

J’étais épuisée. Je ne pouvais pas parler à mon professeur, ni à lui ni à personne.  J’étais seule dans un monde rempli d’interrogations qui me dépassaient.
À ne plus me rendre en cours, mon emploi du temps devenait plus large même si les charges domestiques semblaient s’accumuler. Les journées se passaient vite.  En me consacrant uniquement au projet de fille au foyer, mes amies me fuyaient. J'ai perdu tout lien social avec la vie. C'était peut-être mieux ainsi à cette époque. Cependant je regrette amèrement de ne pas avoir un métier en main.
La lessive, le repassage, la cuisine, nourrir les lapins et le chien, nettoyer les cuivres, cirer les meubles, recevoir Les Amis du chef de famille et m’enfermer dans ma chambre une fois que toutes les tâches journalières étaient terminées.  Je veillais bien à fermer ma porte à double tour, quand je venais à surprendre des conversations:

« - Elle est bien roulée ta fille, je peux la prendre chez moi, Larry . »

« - Il n'y a pas de problème Jean-Marie, va lui demander, ainsi elle foutra la paix à son père ! »

Je me souvient aussi des soirées de fin de semaine.  Après le repas, les deux maîtres allaient regarder la télévision au salon. Une fois fini de débarrasser la table et de faire la vaisselle, je pouvais les rejoindre.
Sans doute pour effacer ton souvenir mère, le mobilier a changé de place.  Les meubles étaient toujours les mêmes. Notamment pour la banquette d’angle du salon, quand ton fils et Perrine s’y trouvaient pour se câliner, je pouvais encore m’y frayer une place, dans le passé. Mais pour le présent, je n’avais pas de choix.
Les deux hommes de la maison prenaient leurs aises, cela était impossible.
Ma place devait être sur le tapis du salon, situé au centre de la pièce. De peur, je ne protestais pas. Ils avaient juste un merci, pour le coussin jeté à mes pieds.

Le dimanche, Larry à la maison, bricolait dans la cave. Il tondait la pelouse et lors d’après-midi ensoleillée, il se relaxait avec un livre sur la balancelle.
Didier faisait ses devoirs pour aller le rejoindre ensuite.
Pour Didier, avec Larry c’était toujours le même refrain :

« - Ta mère c’est toujours arrangée pour que tu obtiennes un bon métier à l’âge adulte, alors tu vas bosser Didier. S'il le faut, je t’offrirais des cours particuliers. »

Il m’a fallu d'une seule fois, pour avoir eu envie de me reposer comme eux, de ne plus avoir envie de recommencer. J’avais oublié de me poser une question qui revenait tous les jours : est-ce que je fais mal de penser à moi ?
Très tôt j’ai laissé tomber mes poupées pour eux.
Dehors, le soleil éblouissait les champs de blés. J’ai eu une envie d’aller me rouler sur les grandes herbes le long des chemins de campagne, non loin de la maison. Je n’ai pas vu l’heure défilée.
À la maison, manger tôt pour avoir une longue soirée, était la devise de Larry. Et bien sur, ils avaient mangé.
Didier a toujours été fier de n’avoir son père que pour lui. Par la fenêtre de la cuisine, m’apercevant sur le chemin du retour, avec un grand sourire aux lèvres Didier a ouvert la porte.  Une assiette à la main, il s’apprêtait à la poser au sol sur la terrasse, quand il m’a dit ces quelques mots:

« - Tiens Jeanne, ton repas est servi ! »

Être traitée de la sorte m’a coupé l’appétit. J’ai ramassé l’assiette au sol. Je me vois encore jeter les restes du repas qu'ils m’avaient gardé, à la poubelle.
Silencieusement, j’ai lavé et j’ai rangé mon assiette dans le meuble de la cuisine et je suis allée m’effondrer sur le lit. Mes journées étaient toujours ainsi, le calme avant la tempête.

Un soir avant le repas, Larry est rentré en fureur dans ma chambre parce que je n’avais pas nettoyé la maison et ce n’est que bien plus tard, que j’ai compris que tous ses faux sourires n’étaient qu’une échappatoire.  Il ne désirait plus avoir à m’assumer. Je subissais une tension régulière. Tous les prétextes étaient d’actualités pour me faire craquer. Après avoir signé les documents du divorce, sans rien demandé j’ai tout appris sur la mère qui m’avait mis au monde.

« - Tu sais Jeanne, ta mère je la connais bien. C’est une femme qui a toujours aimé que l’on porte un regard sur elle. Elle s’occupait bien de ses enfants, vous étiez toujours propre mais son péché est d’aller s’envoyer en l’air avec n’importe qui. Quand elle a ses pulsions sexuelles, elle est prête à tout et ne regardera pas à piétiner celui qui se positionne en travers de sa route… »

 Larry était-il en colère ce soir-là, souffrait-il violemment de ton absence, avait-il le droit de me parler de toi ainsi ?
La seule manière qu'il a trouvée de vider son cœur était de me faire rentrer dans votre intimité, en veillant à bien fermer la porte de votre chambre, derrière moi.
Sa bouche prononcée des mots insignifiants et ses mains armées d’un long couteau de cuisine, détruisaient tes derniers effets personnels en lambeau. Une image terrifiante. Ton baigneur offert par ta maman adoptive à l'âge de tes huit ans, a fini ses jours éventré avec les deux yeux crevés.
Tout ce qui t’appartenait, devenait poussière dans les mains de Larry.
Comment effacer de ma mémoire ces scènes de violence ?
Dans un déplacement de haine et de destruction, ne pouvant évacuer son mal-être, ce père qui a si peu témoigné son affection a déversé librement toute sa malveillance devant mes yeux.
Pour ensuite m'abandonner, pour mon intérêt paraît-il, entre tes griffes incestueuses remplies de mépris et celles de mon beau-père dit comme un être paranoïaque et schizophrène.

Je me souviens d'une phrase qui revenait souvent en pleine face. "Nous sommes tes parents et nous avons le droit de faire de toi tout ce que nous désirons!"
Tant de traces empoisonnées sont restées en mémoire et imprimées dans mes journaux intimes.
Des traces qui bouillonnaient mes oreilles d'adulte à connaître ton empressement de dire du mal de l'un ou de l'autre, tes petits-enfants compris.  Ainsi mère, tu as entretenu une rivalité et une mésentente certaine avec les membres de ma famille et mes amis. 
Parfois, tu ne te cachais plus. Adolescente, dans un besoin de paix je me suis enfermée dans le cagibi pour pleurer. Tu n'as eu aucune gène devant tes connaissances de me traiter de malade mentale. Une culpabilisation latente qui te faisait sourire quand parfois je réussissais à te le faire remarquer.
Je vais abréger sur les nombreuses lettres que tu m'as écrit par le passé, me jugeant de voleuse et de méprisable. Je me suis hélas longuement demandé si tu n'avais pas la facilité de juger les autres en prenant exemple sur toi.

Effectivement, pour toutes ces raisons il est difficile de dire, je t'aime maman. Je t'ai pardonné des centaines de fois, j'étais obligée. Je ne regrette pas de t'avoir aimé. Je suis une personne qui ne regrette rien, tu le sais.
Est-ce que je t'aime encore?
Tu m'as tant lavé le cerveau, à cet instant précis je ne sais même plus à quels degrés doit se placer l'amour d'un enfant pour sa maman.
Je ne sais même pas combien de temps je vais réussir à te tourner le dos.
J'ai peur. J'ai toujours eu peur. J'ai peur d'une violente rupture entre nous. J'ai peut-être tout simplement peur, de devenir quelqu'un.
J'ai perdu toute la confiance en moi, je vais me relever. Chaque jour suffit sa peine devient ma devise.
Ma tribu est ma force. J'aime mes enfants plus que ma vie même si tu as tenté à maintes reprises de mettre en doute mon amour pour eux.
Pendant toutes ces années, je n'ai jamais réussi à me plaindre avec des mots à la hauteur de mon vécu. Je suis restée "une chose" mal dans sa peau, incapable d'être aimée.

Je ne devrais plus m'inquiéter pour toi. Tu as toujours réussi à donner une image subjective selon tes désirs, aux personnes que tu côtoies. Tu sauras quoi dire sur mon sujet.
Je suis arrivée à un point où je ne sais même plus si j'ai honte de toi en ayant ôté ton masque ou si j'ai honte de moi, en exprimant ce soir un vécu difficile à tes côtés, à vos côtés.

Jusqu'à maintenant, je n'ai reçu que des éclats de joie qui étaient insupportables à tes yeux. Demain, je désire de toutes mes forces me donner la chance de découvrir la joie entièrement.
Il faut que je cesse de payer tes souffrances quelles qu'elles soient. L'oiseau blessé doit prendre son envol.
Et si je ne réussis pas, peut-être un jour réussiras-tu à me laisser partir en m'ayant tout pris.

J'ai tant de fois culpabilisé, je ne sais même plus la raison de ma présence face à toi ce soir, cette nuit, par l'intermédiaire de cette lettre.

Il est trois trente du matin, je ne trouve plus le sommeil...
Je me sens si seule. Mon journal intime est posé sur un coin de la table de nuit. "Journal intime d'une femme seule".
Avoir choisi ce titre fait partie de quelques-unes de bonnes décisions que j'ai prises.
La date m'interpelle et m'emmène loin dans un passé, si proche en même temps.

Le deux février mille neuf cent quatre vingt trois, souviens-toi…

« - Man, Bertrand a essayé de me violer. Il m’a caressé, il a essayé d’enlever mes vêtements, il a posé sa main sur mon sexe… »

« - C’est faux ma chérie ! Ne crois pas ce que dit ta fille, elle est jalouse de nous, elle inventera plein d’histoires pour nous séparer ! »

« - Mais tu es folle Jeanne de raconter des horreurs comme cela à ta mère, au sujet de Bertrand ton beau-père. Il faut te faire soigner ma pauvre fille ! Cesse de prendre tes rêves pour des réalités. »

Tu m’en as voulu terriblement, à ne plus m’adresser la parole pendant plusieurs semaines.

Ce n’était pourtant pas un rêve.
Ton travail de secrétaire dans une scierie hors de la ville, t’obligeait à partir tôt le matin et rentrer en fin de journée.  Les journées me semblaient bien longues et parfois épuisantes après le rangement de la maison. À l'heure de ma série préférée, je m’octroyais un temps de repos bien mérité, sur une chaise.  La télévision se trouvait en face du lit, dans votre chambre à coucher. Bertrand passant plus de temps devant la télé, au lieu d’aller chercher du travail. Dans une toute petite voix, il m’a dit :

« - Viens t'asseoir à coté de moi Jeanne, je ne vais pas te manger tu sais. »

Il avait l’air gentil, il était calme. Je lui ai fait confiance. Il bougeait beaucoup dans le lit en se tournant d’un sens, puis d’un autre pour finir à se coller près de moi en posant sa main sur ma jambe.
Il ne dormait pas. Il m’a demandé d’enlever mon pantalon car il faisait chaud dans la pièce. Je n’ai pas eu le temps de prononcer un mot, qu'il avait déjà défait le bouton du pantalon en glissant ses doigts sur mon intimité. Je me suis débattue violemment et j’ai réussi à quitter le lit, la chambre, la maison, sans être suivie.

Si je me souviens bien, ce jour-là j’ai eu envie de fuguer. Dehors il pleuvait très fort, personne ne pouvait s’apercevoir de toutes les larmes que je déversais.  Je me suis arrêtée tout essoufflée, en m’appuyant sur le mur d’une maison. Deux jeunes hommes sont passés non loin de moi. L’un des deux a dit :

« - Regarde là-bas la fille, on dirait qu’elle ne se sent pas bien!»

De peur, je suis revenue à la maison. Je me suis enfermée dans la salle de bain en attendant ton retour.
Voilà textuellement comment mon soi-disant rêve est arrivé, ma chère mère.
Tu m’en as tellement voulu, que tu as décidé de te venger violemment.

Pendant que tu étais au travail, Bertrand ne travaillant toujours pas, je passais mon après-midi dans une aire de repos, à quelques mètres de la maison pour ne plus avoir à me retrouver seule avec lui. J’écrivais sur mon journal intime, je dessinais, j'écoutais les oiseaux heureux. Je respirais la tranquillité jusqu’à l’heure du souper. Quand je rentrais à la maison, tu étais déjà rentrée du travail et là, le goût de ta vengeance me sautait à la figure.
Votre rituel sexuel, dans votre chambre, sur votre lit, nus tous les deux, la porte grande ouverte.
Tu criais, tu gémissais, vous riez tous les deux croisant parfois mon regard dans votre petit appartement…
J'ai terriblement souffert là aussi de ces scènes répétées. Je devais trouver une solution pour surmonter cet enfer.
Je me suis procuré quelques lames de rasoirs, et lorsque tu désirais jouir librement sans te cacher, je me taillais quelques veines pour faire couler mon sang. Ainsi je souffrais par moi-même et non à cause de vous.
Tu as cessé de m’en vouloir quand une voisine t’a fait remarquer les marques sur mes poignets. Tu t’es même fait passer pour une victime, en fuyant Bertrand le plus souvent possible.
Un jour, Bertrand m’a dit, alors que tu étais parti à ton travail sans penser à lui :

« - Ta mère a oublié de me laisser des cigarettes. Chaque heure qui passera sans cigarette, sera un coup de poing pour ta mère à son retour. »

J’ai eu si peur pour toi, que j’ai tout fait pour trouver de l’argent et aller lui chercher son paquet de cigarettes.  Il n’appréciait pas que tu ne sois plus à ses petits soins. Pratiquement, tous les soirs, ce n’était que disputes entre vous. En dehors de la maison, pour une cigarette que tu refusais de lui donner, tu as pris les coups. Il y avait plein de sang partout. Ton nez a été cassé ce matin-là, dans le hall d’une entrée. Le moindre détail déplaisant suffisait à faire ressortir sa violence. Nous allions souvent toutes les deux pour s’enfermer à clé, dans la salle de bain pour éviter ses coups.
Te souviens-tu du jour où il a pris une hachette pour défoncer la porte de la salle de bain ?
Le calme revenait quelques jours, les voisins se plaignaient de tapage nocturne. En période d’accalmie, tu disais de Bertrand qu’il était calme et gentil avec nous quand il n’avait plus de crises.

Tu l’aimais ainsi. Un autre  jour, j’ai surpris une conversation entre vous…

« - Tu sais Karen, si nous étions tous les deux, sans Jeanne dans nos pattes, nous serions heureux. Il faudrait essayer de se débarrasser d’elle ou alors, j’ai eu meilleure idée… »

La porte de la chambre s’est refermée, par toi où lui je ne sais pas.  Je n’ai pas entendu la suite. Le lendemain, désirant rentrer dans ma chambre pour m’y coucher, vous y étiez tous les deux à faire les mêmes gestes qu’auparavant, l’amour.  Je n’ai pas compris pourquoi vous étiez là. Je suis allée m’allonger sur votre lit en attendant que vous quittiez mon lit.  Je serrais les poings, mes genoux étaient recroquevillés sur mon ventre. Je pleurais en silence.

Je vais terminer un passage de ma vie qui est resté sous silence, de peur des représailles de personnes méprisables. J'avais dix-neuf ans en ce temps-là, souviens-toi...

Dans ma chambre à écouter de la musique assise sur le lit, tu es entrée pour venir t'allonger à côté de moi. Bertrand te suivait quelques minutes après. Il était nu.  J'ai voulu me sauver mais il m'a tiré le bras pour que je m'allonge près de vous.
Je ne réussirais jamais à donner plus de détails de ces scènes de violence sexuelles qui ont marqué ma vie à tout jamais.

Quelqu'un m’a dit, pardonner c’est mettre l’autre plus bas que soi.
Je t’ai pardonné et si c’était à refaire, je te pardonnerais des centaines de fois, juste pour continuer de me sentir vivante.

Ne connaissant rien de l'homme et ses désirs, heureusement pour moi, vous m'avez laissé ma virginité.
Vous vous êtes accaparé mes yeux, mes mains, ma langue, mon esprit de nouveau.  Je devais me positionner pour lécher les fesses de Bertrand et à sa demande, j’avais tout intérêt à rentrer ma langue profondément, pour qu’il puisse jouir au même moment que toi lui faisant une fellation. Parfois il me demandait de mettre le doigt quand il venait à te prendre par-derrière.
J'avais le choix, mettre en pratique ses demandes ou prendre les coups.

Je n’ai rien oublié.
Je n'ai pas oublié le quartier où nous allions tous les trois en pleine nature. Mon obligation de vous suivre, mon obligation de caresser ton amant. Lui au milieu, nous sous chacun de ses bras.  Vos rires quand vous disiez, "avoir mis les enfants à la cour"...

J'étais prisonnière. Je ne sortais plus. Je ne vivais plus.
Pour mettre fin à ma souffrance, j'ai désiré me donner la mort en absorbant un nombre in calculable de médicaments. Je ne me souviens plus comment la suite s’est passée exactement.
Je me souviens d'une grande porte blanche et des voix lointaines qui semblaient dire; "Nous la perdons, dépêchez-vous!"
Je revois mon passage sur une civière dans l’ambulance. Il faisait nuit. Un lavage d’estomac très douloureux dans une pièce froide et puis vous deux, toi et Bertrand dans la chambre d’hôpital en attendant la visite d’une assistance sociale de l’établissement.
Il m'a dit quelques mots dans le creux de l'oreille, pendant que tu parlais à l'assistante sociale.

« - Si tu parles de ce que nous t’avons fait, nous nierons tout. On te fera passer pour une malade mentale et nous t’enfermerons dans cet hôpital à vie, Jeanne »

J’ai eu peur de vous. Je n’ai rien dit.
Je ne pouvais pas parler.
De retour à la maison, je suis devenue muette pendant quelques semaines.
Je ne m’alimentais plus, je ne me lavais plus. Je ne faisais plus rien. Tous les petits gestes quotidiens de ma vie devenaient à ta charge, mère.

Bertrand a quitté la maison, tu as cessé ton travail pour t’occuper de moi. Tu faisais quelques heures de ménage pour subvenir à nos besoins. Lorsque tu avais du mal à finir les fins de mois, nous allions manger à petits frais dans un centre communal de la ville.
En allant mieux, je restais toujours à la maison pour faire ton ménage mais, qu’est-ce que j’étais heureuse du calme retrouvé.
Parfois, par période difficile, seule je me rendais le matin en bus, pour aller retirer gratuitement notre pain journalier à l’armée du Salut.
Un jour de chance, ayant eu un peu plus d’argent que prévu, tu as acheté un gros morceau de fromage que nous avions partagé en deux morceaux.

Adieu!

Je n'ai plus envie de continuer ma lettre, excuse- moi de la finir ainsi, maman...

 

Extrait de : - L. L. D. S. - Tous droits réservés ©

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Commentaires
L
.... Merci pour votre lecture, Opaline..
M
Quel goût amer laisse cette mère derrière elle! Ce passage ne peut laisser indifférent...
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